27 août 2006

 

Une croisière autour de Hashima-Gunkanjima

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Depuis ma visite au Musée de la Paix (cf. note du 3 avril dernier), et depuis que j'avais feuilleté certains livres, l'envie de voir de mes propres yeux cette inquiétante île de Hashima me trottait dans la tête, et ayant découvert qu'il existait des croisières touristiques à la belle saison, je m'étais promis de profiter de mes vacances d'été pour participer à une de ces promenades en bateau.

Malheureusement, aujourd'hui, le ciel était à l'orage, et impossible d'ajourner l'excursion qui a lieu sur réservation. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je me suis dit que ces gros nuages noirs contribueraient à faire ressortir l'aspect sinistre du site. Je n'ai pas été déçue.

Hashima se trouve à 19 kilomètres du port de Nagasaki. Avant de l'apercevoir, il faut d'abord longer les rives de la baie de Nagasaki, et laisser derrière soi les îles de Iôjima et de Takashima ; autant dire que c'est vraiment la pleine mer.
Et ce qu'on voit d'abord de l'île, c'est cette digue en béton, haute de 10 mètres, qui la protège des assauts de la houle qui se déchaîne sur cette façade ouest.
Les rares constructions en bois n'ont pas résisté à la violence des vents. Il faut dire que la région est régulièrement visitée par les typhons.
Hashima est un caillou de 480 mètres de long sur 160 de large (y compris les extensions artificielles en béton). Pourtant, au début des années 1960, il y avait plus de 5000 habitants, ce qui classait Hashima à la première place de l'archipel pour la densité de la population, dix fois supérieure à celle de la capitale. Pour caser tout ce monde, il a fallu construire des immeubles. Ainsi, c'est à Hashima qu'a été construit le premier immeuble d'habitation en béton armé de tout le Japon, en 1916.
Ça ne vous fait pas penser à du Schuiten, vous ?
Côté passagers, tout le monde ne partage pas mon enthousiasme, et certains semblent s'emmerder ferme pendant que dans leur dos le guide continue ses explications au micro.
Voilà le fameux profil auquel Hashima doit son surnom de « Gunkanjima », « l’île – vaisseau de guerre », pour sa ressemblance avec le navire Tosa (土佐).
Le guide nous signale que c'est le moment de prendre des photos. On obtempère.
On contourne l'île pour accéder à l'autre façade, où les vagues sont moins violentes.
Ainsi, c'est sur cette parcelle épargnée par la houle que le groupe Mitsubishi a installé un site d'extraction de charbon après avoir acquis l'île en 1890. La mine a fermé en 1974 (l'année de ma naissance !), l'île a été évacuée, et encore maintenant il est interdit d'y aborder pour des raisons de sécurité. On ne peut que la contourner en bateau.
Au premier plan, on voit la bite d'amarrage qui permettait aux bateaux transportant le charbon d'accoster. Le guide insiste sur la richesse passée de l'île, qui était le symbole de la modernisation du Japon. Presque tous les foyers étaient équipés de téléviseurs, à une époque où la télévision était encore un luxe. Malgré sa faible superficie, Hashima avait toutes les facilités : une école primaire, un hôpital, un cinéma, des restaurants, et même un pachinko.
Le gymnase est le dernier bâtiment à avoir été construit, 4 ans avant la fermeture de la mine.
Tout est resté en l'état, et même en assez bon état. Alors avec mon nouvel appareil photo, je zoome sur les bâtiments, en quête d'une silhouette qui apparaîtrait dans l'embrasure d'une fenêtre. Mais personne : c'est bien une île morte.
Et partout, sur la terre comme dans l'eau, du béton.
Le tour est fini, on rentre au port.
En regardant l'île qui s'éloigne, je note que le guide n'a rien dit des Coréens et des Chinois enrôlés de force pour travailler dans la mine pendant la Seconde Guerre mondiale. À vrai dire, le contraire m'aurait étonnée. Pourtant, il me semble bien que ce sont eux qui étaient parqués dans les baraques en bois si mal isolées contre le vent et les intempéries. Il faudra bien évoquer cette histoire un jour, et d'autant plus si l'île est classée au patrimoine mondial de l'UNESCO comme le projet en est à l'étude aujourd'hui.
Quoi qu'il en soit, je ne m'attendais pas à ce que cette monstruosité à tous points de vue soit présentée comme un fleuron de la modernité.
Pendant la traversée, mon voisin trisomique ne cesse de cadrer le paysage avec ses mains en nous voyant prendre des photos. Les grues-portiques du chantier de construction navale Mitsubishi semblent l'inspirer particulièrement. J'aurais été curieuse de voir ses photos.
Dans les faubourgs de Nagasaki, au sommet des collines, les barres d'immeubles avec vue imprenable sur la baie se multiplient.
C'est un soulagement de retrouver la vieille ville et ses charmantes maisonnettes perchées à flanc de colline, au milieu de la verdure.

23 août 2006

 

Forum Chine

Ça y est, j’ai les billets et les visas (enfin, le mien du moins…) : mon pacsé et moi, on part en vacances en Chine du 4 au 15 septembre.

Pour ce qui est de notre itinéraire, c’est beaucoup plus flou : tout ce qui est certain pour le moment, c’est qu’on arrive et qu’on repart de Shanghaï, et qu’on a le projet de relier Pékin en train de nuit.

À vrai dire, là j’ai un peu la flemme d’éplucher les guides touristiques, alors je m’en remets à mes bienveillants lecteurs : si vous connaissez des salons de thé croquignolesques, des paysages de campagne qui valent le détour dans cette portion de la Chine, ou tout autre chose qui vous ait laissé un souvenir impérissable, les commentaires vous sont ouverts !

13 août 2006

 

Un rien m'amuse

C'est certainement parce que je suis un peu con-ne, mais ça me fait mourir de rire (d'autant plus qu'il s'agit d'une publication éducative).

10 août 2006

 

61e anniversaire de la bombe atomique

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À Delphes, dans le temple d'Apollon où officiait la Pythie, les Grecs adoraient un bloc de pierre qu'ils nommaient omphalos, soit « le nombril du monde ». Une pierre semblable, en marbre bleu, se trouvait dans le temple d'Apollon de Klaros, près d'Éphèse, dans l'actuelle Turquie.
À Nagasaki, c'est aussi une pierre qui dès le début a marqué le centre de l'explosion de la bombe atomique, comme le montre la photo ci-contre prise en octobre 1945. On dirait une colonne en béton récupérée à la hâte parmi les débris. Elle a été remplacée à plusieurs reprises, et maintenant c'est un pilier carré en marbre noir qui signale l'emplacement de l'hypocentre.

Hier, faute de pouvoir assister à la prière collective au Parc de la Paix, j'ai observé une minute de silence avec ma classe à 11h02. Je venais de terminer une présentation sur Les Visiteurs du Soir, dont les amants statufiés ont paru à mes élèves « si typiquement français »… Puis, sitôt acquittée de mes obligations à l'École, j'ai sauté dans le bus pour me rendre dans le quartier de Matsuyama.


Il était à peine seize heures, mais la foule s'était déjà complètement dispersée sous la tente principale, et les rares personnes présentes étaient là pour finir de ranger le matériel.
Il faut dire qu'il faut dire qu'il faisait une chaleur accablante. Les femmes venaient chercher un coin d'ombre et de fraîcheur près de la fontaine, tandis que dans les buissons stridulaient les cigales.
Un homme coiffé d'un chapeau chinois est venu déposer un lampion sur l'autel de l'hypocentre. J'ai pensé à Monsieur Takazane qui va régulièrement à Tokyo pour assister aux procès où sont plaidés les droits des hibakusha chinois et coréens.
Pour ce qui est de la couverture médiatique, il restait seulement une équipe de télévision locale, dont j'ai d'ailleurs vu le reportage aux informations du soir. Je leur dois de m'avoir apporté une explication à cette apparente désertion : en fait, il semblerait que tout le monde était allé qui au concert géant pour la paix, qui au congrès pour la non-prolifération et la suppression des armes nucléaires.

Pour que vous ayez quand même quelque chose à vous mettre sous la dent, voici quelques photos prises l'an dernier, pendant les grandes célébrations du 60e anniversaire de la bombe atomique. Cette fois-là, j'avais pu me joindre à la prière collective.
À l'approche de 11h02, les bonzes qui tapaient en rythme depuis près d'une heure sur leur raquette-tambour ont commencé à ralentir la mesure avant de s'arrêter complètement, comme un cœur qui cesse de battre.
Il s'est fait un grand silence pendant une minute, puis les conversations ont repris comme si de rien n'était.
À quelques pas de là, j'ai croisé un Américain qui faisait acte de contrition. Il m'a regardée intensément pendant que je le prenais en photo, peut-être a-t-il pensé que j'étais japonaise. Je n'ai pas eu l'occasion de le vérifier car, mon forfait accompli, je me suis enfuie comme une voleuse sans lui adresser la parole. Ce n'était ni élégant ni gentil de ma part, mais il y avait quelque chose qui me mettait mal à l'aise dans cette exhibition publique, outre l'aspect sectaire du « Prayer Vigil »; et pourtant, comment demander pardon autrement sans ambages ?

01 août 2006

 

La Voie de l'Arc (2)

« Uchiokoshi ! »
Je me suis tournée pour que mon instructeur puisse contrôler le mouvement des omoplates dans mon dos tandis que j’élève aussi harmonieusement que possible mon arc imaginaire, comme « une fumée s’élevant paisiblement dans l’air par un jour sans vent » (Manuel de Kyudo, p. 65).

« Daisan ! » glapit mon coach.
Mes mains s'écartent en pivotant, et c'est à ce moment que je croise enfin le regard interloqué du voisin de lit de Monsieur Nagano l'Ancien.

« Hikiwake ! » poursuit ce dernier avec toute l'autorité que lui confère sa mission.
Tout en mimant la pleine extension de l'arc avec mes bras, j'adresse un sourire navré au voisin à qui j'impose ce spectacle. Mais pan ! une tape bien réelle sur ma main gauche me rappelle à mes devoirs.
« Dis donc, qu'est-ce que tu me fais là ! Combien de fois je t'ai dit que la paume de la main devait être dans le prolongement parfait du bras pour pousser l'arc correctement ? Comment tu espères tirer droit comme ça ? »

Personne au dôjo n'ose me toucher et m'engueuler comme le fait Monsieur Nagano l'Ancien, et c'est ce qui me le rend si attachant ; car, outre mon côté maso que je ne chercherai pas à nier, je suis sensible au fait qu'il me traite exactement comme les autres apprentis, sans les ménagements que certains croient devoir à ma triple condition d'étrangère, de femme et d'enseignante, et qui me laissent la désagréable impression que je resterai toujours à l'orée de ce monde.
On pourrait s'attendre à ce que Monsieur Nagano l'Ancien soit le plus conservateur de tous, puisqu'il est l'un des plus âgés du dôjo ; or, il n'en est rien, à croire qu'avec les années le cœur s’élargit à proportion de ce que la vue baisse : Monsieur Nagano l'Ancien ne semble véritablement pas voir que je suis différente des autres et je lui en suis profondément reconnaissante, même quand il me parle à toute berzingue dans le dialecte de Nagasaki et qu'il me reproche ensuite vertement de ne pas avoir bien écouté ses explications, alors que je n'en ai tout simplement pas compris un iota.

En fait, dans un registre nettement plus acariâtre, il me rappelle le personnage de l'abbé de cette fabuleuse série de bande dessinée que j'avais découverte dans les circonstances les plus improbables, lors d'un vide-grenier d'un collègue de mon père à Vanuatu, et dont j'avais immédiatement acheté les 5 tomes même si je savais par avance qu'ils allaient peser des tonnes dans ma valise, et que j'aurais pu acheter les mêmes en meilleur état si j'avais eu la patience d'attendre mon retour à Paris.
Mais comment résister au charme ensorcelant d'Isa, sauvageonne idéaliste, pétillante d'esprit et féministe avant l'heure ? Grâce à François Bourgeon, j'ai doublement vécu et voyagé : toute mon adolescence a été bercée par ces pérégrinations entre les ports de la vieille Europe et le climat délétère des comptoirs coloniaux de l'Afrique et des Antilles. Moi si sujette au mal de mer, combien d'heures n'ai-je pas passé à rêvasser sur ces planches, au point d'avoir l'impression d'entendre grincer les bois de ces navires à la lueur des lampes-tempêtes ?

Mais j’en reviens à l’abbé qui me fait penser à Monsieur Nagano l'Ancien. C'est un personnage discret (tellement discret que je ne parviens pas à retrouver son nom ; une récompense à qui me soufflera la réponse !*) qui apparaît dans « Le Comptoir de Juda » pour mettre en garde Isa contre les manigances de l'affreux Estienne de Viaroux. Comme elle s'étonne de ce qu'un homme d'Église lui vienne en aide malgré son anticléricalisme affiché (elle en a gros sur la patate pour avoir passé toute son enfance enfermée dans un couvent suite à un hasardeux troc d'identité), il lui répond dans un sourire vitreux une tirade qui dit à peu près cela : « À mon âge, ce genre de détails importe peu, et l’œil n’accroche plus que l’ombre ou la lumière… » (mais c'était certainement mieux dit, car le bougre écrit aussi bien qu'il dessine ; une récompense à qui me trouvera la citation exacte !*)

Toutes ces digressions pour expliquer mon affection pour ce grand bonhomme décharné et soupe au lait, à qui je vais rendre visite ce jour-là à l'Hôpital universitaire de Nagasaki.
Sur le chemin, je me suis arrêtée à la supérette pour acheter des petits pots de glace Häagen-Dazs, comme j'ai vu ma mère le faire pendant des années pour sa propre mère. Mais en franchissant les portes automatiques du hall de l'hôpital, je me demande si mon choix est bien judicieux pour un convalescent à qui on vient d'ôter 3 centimètres d'intestin pour cause de cancer du côlon récidivant.
Je ne me sens donc pas très tranquille dans l'ascenseur qui m'emmène au septième étage, mais je suppose que personne n'est vraiment à l'aise dans un hôpital et que chacun y associe son lot de mauvais souvenirs. Pour ma part, je l'ai toujours fréquenté du même côté de la barrière, celui du visiteur impuissant face à la douleur de ses proches. Je ne suis pas prête d'oublier certaines images de ma mère hospitalisée pour un pneumothorax quand j'avais neuf ans, et de ma violente envie de dégueuler lorsqu'on m'a appris qu'il allait falloir lui faire un deuxième trou dans le dos parce que le premier était trop petit. Je me souviens de ma terreur en voyant ma mère sur son lit de douleur, comme une cobaye livrée à une infirmière odieuse et à un chirurgien fou, incompétent et néanmoins tout-puissant. Dieu merci, elle se porte comme un charme maintenant, et s'apprête d'ailleurs à embarquer demain pour le Wyoming en quête d'un cowboy homosexuel ou, à défaut, d'une petite statuette en bois. Mais ceci est une nouvelle digression qui nous emmènerait trop loin !

Une infirmière me conduit prestement dans les longs couloirs flanqués de chambres de 4 aux portes grandes ouvertes. J'ai le le cœur qui cogne un peu plus fort quand elle s'avance vers un lit entouré d'un paravent (pourquoi celui-là seulement ?) et je regarde les murs défraîchis pour me donner une contenance en attendant qu'elle me fasse signe d'approcher. J'entends le dialogue derrière le rideau :
« Monsieur Nagano, vous avez de la visite ! »
Et une voix qui répond faiblement après un temps : « Une visite à cette heure ? »
Il faut dire qu'il est presque 19 heures ; le repas du soir a déjà été servi il y a près d'une heure. Je me promets de ne pas rester plus de dix minutes pour ne pas le fatiguer davantage.
« Dis donc, toi, je t’avais dit que ce n’était pas la peine de venir ! » me balance-t-il en réprimant un sourire quand il m’aperçoit.
Ça me rassure de voir qu’il a la force de jouer la comédie. « Vous avez presque trop bonne mine pour un opéré ! »
« Tu parles, j’ai un mal de chien, et tu viens te payer ma tête ! » dit-il en grimaçant dramatiquement, la tête posée sur son oreiller pas immaculé.
« Oui, en temps normal, je ne serais pas venue, mais là, figurez-vous que je reviens du dôjo, juste à côté, et que j’ai mis deux belles flèches dans la cible, dont la dernière en plein cœur, et pas par hasard ! Alors je me suis dit que ça valait le coup de vous déranger pour vous le dire. »
Aussitôt, la grimace se transforme en un large et vrai sourire : « C’est formidable ça ! »
Moi, ce que je trouve formidable, c'est sa capacité à se réjouir de manière si entière et désintéressée de mon bonheur, malgré le crabe qui le bouffe.
Mais j'affiche un air soucieux pour poursuivre :
« Oui, pour ça j’étais plutôt contente, mais en revanche, en salle d’échauffement…
- Quoi, qu’est-ce qui s’est passé en salle d’échauffement ?
- Ben je ne sais pas ce qu’il y avait aujourd’hui, mais j’ai fait tomber à plusieurs reprises la flèche. »
C’en est trop pour lui, je le vois qui se redresse sur ses avants-bras. Un instant j’ai peur que la douleur le relance au niveau de la cicatrice, mais ça a l’air d’aller.
« Et comment t’expliques ça ? me demande-t-il d’un ton presque menaçant.
- Ben, j’ai l’impression que ma corde est un peu usée au niveau de l’encoche, donc forcément elle est plus fine et la flèche accroche moins bien. Faut dire, en principe, c’est vous qui raccommodez ma corde, et comme vous vous prélassez à l’hôpital, là…
- Foutaises ! C’est rien qu’une excuse de débutant, ça. Qu’ont dit les instructeurs présents ?
- Que je ne coinçais pas assez profondément la flèche dans le gant.
- Ouais, ça se tient… Montre-moi. » ordonne-t-il d'une voix qui a repris toute son assurance.
Évidemment, je n’ai ni arc, ni flèche, ni gant avec moi. Alors je mime sous le regard attentif
de Monsieur Nagano l'Ancien, qui est maintenant assis sur le rebord du lit pour mieux suivre mes mouvements.
« Ça a l’air pas mal vu comme ça, pourtant.
- Merci, mais je dois faire un faux mouvement de la main droite, parce que la flèche n’arrêtait pas de tomber au moment du Daisan.
- Bon ben recommence alors, mais tourne-toi cette fois-ci. Uchiokoshi ! ».
Je me dis que la Voie de l’Arc accomplit des miracles, qui remet d’aplomb des cancéreux. Je me dis que Monsieur Nagano l'Ancien, qui ne voit pas de différence entre moi et les autres, mais qui voit l’arc et la flèche dans mes mains, est un saint homme.
Lorsque pan ! une tape bien réelle sur ma main gauche me rappelle à mes devoirs.
« Dis donc, qu'est-ce que tu me fais là ! Combien de fois je t'ai dit que la paume de la main devait être dans le prolongement parfait du bras pour pousser l'arc correctement ? Comment tu espères tirer droit comme ça ?
- S’il vous plaît, on ne pourrait pas faire une pause ? Je me suis entraînée pendant presque 3 heures sans me reposer, et les glaces que j’ai apportées vont finir par fondre, ce serait dommage…
- Moi je ne peux pas en manger de toute façon.
- Ben moi si, alors je me sers ! »
J’ouvre le petit pot de glace à la vanille, c’est vrai que c’est délicieux, onctueux et parfumé, un vrai bain de réconfort. Je comprends mieux les boulimiques qui descendent 2 litres de crème glacée pour calmer leurs angoisses.
« Moi aussi, j’ai quelque chose pour toi. Ouvre l’armoire-là, tu trouveras une boîte ».
Elle contient un « arc-élastique », sorte de lance-pierres pour s’entraîner à domicile. Monsieur Nagano l'Ancien m’en explique les différentes utilisations possibles jusqu’à ce que l’heure limite autorisée pour les visites nous soit rappelée par les hauts-parleurs. Je remets tout en ordre avant de partir :
« Et la glace à la fraise, j’en fais quoi ? Je la donne à l’infirmière ?».
Impérial, il répond : « Pose-la donc sur le climatiseur, je finirai bien par pouvoir la manger ».
Je me suis sauvée en gloussant.


* Mise à jour du 20 septembre : le mystère est enfin résolu grâce aux investigations de Lankou, à qui je cède la parole :
Il s'agit de l'abbé Forissier, et la citation exacte est: « Il y a encore quelques années, j'aurais jeté l'anathème sur la femme qui, pour marcher en brousse, aurait eu le front de se vêtir en homme !... Au soir de la vie, on dépose ses préjugés avec ses illusions. L'œil vieilli ignore le détail pour ne plus accrocher que l'ombre ou la lumière... À croire qu'il y a en vous quelque chose de lumineux... »
Bravo et merci Lankou, pour ta peine je te ferai parvenir sous peu une biographie (en anglais) de ce Siebold pour qui tu sembles avoir tant de sympathie !


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