29 mai 2006

 

Quand une Nagasakienne rencontre par hasard une Parisienne

Extrait d'une rédaction d'une de mes élèves, sur le thème : « Racontez un souvenir de vacances ».

 

Lacanagasaki

Quand je vous disais qu'il y a du mouron à se faire…


26 mai 2006

 

Le traquenard du vendredi soir

Il ne faut pas avoir froid aux yeux pour se hasarder hors de chez soi un vendredi soir à Nagasaki.

Non pas au sens où on courrait le moindre danger ; le Japon reste un des pays les plus sûrs au monde quoiqu'en disent les nostalgiques d'un âge d'or révolu, et à Nagasaki comme ailleurs dans l'archipel, une femme seule peut tout à fait envisager de parcourir 2 kilomètres à pied à trois heures du matin pour rentrer chez elle (ce qu'elle ne fera jamais toutefois, puisqu'ici il suffit de lever la moitié d'une phalange pour qu'un taxi s'arrête). Pour une noctambule comme moi qui ai manqué me faire violer dans le hall d'un immeuble dans un quartier plutôt bourgeois de Paris, c'est une différence très appréciable.

Mais revenons-en à nos moutons : si je dis qu'il faut avoir le cœur bien accroché pour sortir un vendredi soir, c'est parce que, aussi brève que soit la course qu'on a prévu de faire, pourvu que notre itinéraire croise un lieu un tant soit peu convivial, on ne sait jamais avec certitude à quelle heure on va rentrer.

En effet, les habitants de Nagasaki fêtent dignement le début du week-end. Les occasions de frayer avec des Occidentaux n'étant pas si nombreuses pour eux, et l'alcool exacerbant leur sens de l'hospitalité, il n'est pas rare de se retrouver embarqué de manière totalement improvisée dans des soirées à rallonge avec de parfaits inconnus.

C'est un peu ce qui m'est arrivé la semaine dernière : j'étais chez moi en pleine séance de travail lorsque, tenaillée par la faim, j'ai commis le péché de gourmandise sur le coup des 21 h. Au lieu de me contenter d'un plat de lasagnes au micro-ondes, je me suis mise à saliver en pensant aux spécialités de Sakura-san, la patronne du petit restau cosy en bas de chez moi : rondelles de pommes de terre dégoulinantes de fromage et de karashi mentaiko, et fricassée de crevettes aux asperges et à la sauce mayonnaise-paprika. J'ai décidé de consacrer une petite heure à satisfaire mon estomac au comptoir de chez Sakura-san.

Mais quelle naïveté ! À peine m'étais-je déchaussée à l'entrée du restaurant que j'ai eu droit aux acclamations délirantes d'enthousiasme de Monsieur Tanaka, que je rencontrais pour la deuxième fois de ma vie après plusieurs mois d'intervalle.

Monsieur Tanaka se présente lui-même comme LE pilier de bar du restaurant de Sakura-san ; à près de quarante ans, il est toujours célibataire et s'inquiète auprès de la patronne de sa capacité à séduire une femme, ce en quoi elle le rassure avec la gentillesse un peu rude d'une mama japonaise.

La première fois que j'avais rencontré Monsieur Tanaka, j'étais avec mon pacsé, et lui était avec son compagnon de boisson, célibataire également, à la différence près que ce dernier sortait alors d'une histoire d'un peu plus d'un an. Je me souviens que Sakura-san l'engueulait en lui reprochant de ne pas avoir dit plus souvent à sa copine qu'il l'aimait, et qu'il avait répondu qu'il avait eu peur de passer pour une fiotte en exprimant ses sentiments, avant de se tourner vers mon pacsé pour lui demander si un homme devait vraiment dire des choses pareilles à une femme, comme si c'était de la dernière indécence !
C'était l'éternelle pièce du grand malentendu affectif entre Japonais et Japonaises (de cette génération, en tout cas) qui se jouait sous nos yeux ce soir-là ; mais j'ai eu la surprise de découvrir côté hommes beaucoup plus de délicatesse que je ne l'aurais imaginé au premier abord : car ce que nous expliquait finalement l'ami de Monsieur Tanaka, au-delà des fanfaronnades machistes, c'était qu'à ses yeux, dire les choses, c'était les arracher à leur bain d'évidence, et du coup les exposer à être remises en question. Ainsi, pour lui, dire à sa copine qu'il l'aimait, c'était prendre le risque de lui donner l'impression qu'il aurait pu ne plus l'aimer un autre jour. Étrange raffinement que celui qui consiste, au plus fort du bonheur, à préférer ne rien dire par peur de mettre le ver dans le fruit, quitte à laisser pourrir ensuite des situations invivables !

Mais vendredi dernier, Monsieur Tanaka était seul, donc l'heure n'était plus au symposium sur l'amour, et la conversation a roulé sur les loisirs. Après m'avoir extorqué la promesse de l'accompagner prochainement à Huis Ten Bosch, reconstitution dysneylandesque d'un village hollandais à une heure de route de Nagasaki, Monsieur Tanaka s'est mis en tête de me convaincre de poursuivre la soirée au snack d'à côté.

Il faut tout d'abord que je vous explique que le mot « snack » ne désigne pas ici ce qu'on peut imaginer en France (à ce propos, ceux qui peuvent facilement passer aux éditions L'Harmattan seront gentils de me dire ce que vaut ce bouquin) : c'est une sorte de petit bar à l'éclairage tamisé, généralement tenu par une femme mûre, la mama-san, figure tutélaire des lieux officiant entourée de ses suivantes qui, malgré leur nom d'« hôtesses », ne sont pas des entraîneuses, mais bien plutôt la résurgence moderne des geishas. Elles font la conversation aux clients avec une gentille impertinence et préparent le mélange de shochu dont elles remplissent leurs verres, quand elles n'accompagnent pas ceux qui poussent la chansonnette.
Car une autre particularité du snack est d'être équipé de consoles de karaoké : on choisit sa chanson dans un gros bottin ou sur l'écran tactile d'une télécommande, et il n'y a plus qu'à lire les paroles qui s'affichent sur fond de clips ultra kitsch et souvent sans rapport avec le sens de la chanson. C'est là qu'on se rend compte qu'il y a du mouron à se faire pour la popularité de la chanson francophone : car si on trouve sans peine tous les tubes anglo-américains, côté français, ce qu'on déniche de plus récent à l'issue d'un épluchage fastidieux du catalogue, c'est 2 titres (en anglais !) de Vanessa Paradis. Et pour le reste, toutes époques confondues, on arrive péniblement à un total de 5 titres. Avis donc à mes prochains visiteurs : révisez bien La Vie en Rose (vachement dur à chanter !), Les Feuilles Mortes (impossible pour moi d'aller dans ces graves…), L'Aquoiboniste (un joli titre de Gainsbourg, peu connu en France mais très célèbre ici car il a servi de générique à un feuilleton très populaire), Poupée de Cire Poupée de Son, et T'en Va Pas pour contribuer à entretenir ce qui constitue ici la vitrine de la chanson française !

Bref, Monsieur Tanaka me proposait de l'accompagner au snack « Debola » (transcription déformée du prénom Deborah, qui m'a toujours évoqué, par association, le virus Ebola), mais j'hésitais, car d'une part j'avais encore du pain sur la planche, et d'autre part j'avais des scrupules à me rendre dans un autre snack que celui où j'ai mes habitudes, 500 mètres plus loin (car pour ce qui est de la densité, il faut savoir qu'il y a ici plus de snacks au mètre carré que de pharmacies à Paris). Et puis j'ai fini par céder, moitié par curiosité, le snack « Debola » étant le dernier commerce de ma rue où je n'avais encore jamais mis les pieds —et Dieu sait qu'il y a toujours une sorte d'excitation à pousser la porte d'un snack, car, comme il n'y a aucune ouverture sur l'extérieur, il est impossible de savoir à l'avance où on va tomber : on a l'impression d'entrer par effraction dans un club ultra-privé— moitié par attendrissement face à l'innocente franchise de Monsieur Tanaka qui était convaincu qu'il serait le roi de la soirée s'il était accompagné d'une fille, et parisienne de surcroît.
De fait, nous avons fait une entrée remarquée : « Regardez, ‘y a Masao qui a ramené une meuf ! » La plupart des clients étaient déjà trop éméchés pour se rendre compte que je n'étais pas japonaise, ce qui m'a valu un accueil aussi spontané que chaleureux. Moi, je me sentais parfaitement dans mon élément, mais Monsieur Tanaka était devenu silencieux, comme s'il n'assumait plus la situation. Pendant que je feuilletais le catalogue des chansons, il allumait clope sur clope et son visage était gagné de tics nerveux. C'est là que j'ai pu voir l'intelligence sociale des hôtesses se déployer : la plus jeune d'entre elles est venue s'asseoir à notre table sous prétexte de nous servir à boire, et a commencé à taquiner gentiment mon cavalier qui, après quelques verres de shochu et quelques chants traditionnels d'Okinawa, a paru se détendre un peu. Il n'empêche que lorsqu'un sexagénaire nous l'a enlevée pour un slow tout en entonnant, peut-être pour célébrer la sortie de « Da Vinci Code », Mona Lisa dans un anglais irréprochable (à propos de La Joconde, je vous conseille cet excellent site pédagogique que m'a signalé Lankou), Monsieur Tanaka s'est penché vers moi avec un sourire contrit : « Je suis vraiment désolé de t'avoir embarquée dans ce merdier. » Et alors que je protestais en l'assurant que j'adorais ce genre d'endroits —je venais de mettre le feu en massacrant le succès de France Gall, accompagnée des autres clients qui en connaissaient la version japonaise— mon voisin de droite est intervenu pour lui faire la leçon, sur le ton du Don Juan aguerri : « Tu n'as pas à t'excuser d'avoir invité une fille, Masa-kun. Tu dois juste la remercier d'avoir accepté ton invitation, et faire en sorte qu'elle passe un bon moment. » Mais, tout en opinant du chef, Masa-kun a continué à se confondre en excuses. C'est comme ça que j'ai fini par rentrer chez moi, à 25 mètres de là, quatre heures plus tard et à moitié ivre…

À part ça, cette semaine, j'ai aussi célébré mon anniversaire. Merci à ceux d'entre vous qui ont pensé à me le souhaiter, merci en particulier à celles qui m'ont couverte de cadeaux (quant aux autres, vous pouvez aller pourrir en enfer !)

Avec les collègues, on est allés manger dans un petit restau traditionnel comme je les aime, dans le vieux Nagasaki. Je sens déjà combien ces lieux et ces gens vont me manquer. Mais pour ne pas céder à une nostalgie prématurée, je terminerai cette note en vous indiquant une vidéo hilarante que mon pacsé a glanée sur Internet : désormais, l'art de déguster les sushis n'aura plus de secret pour vous !

06 mai 2006

 

Une « Semaine en Or » et en amoureux

Dimanche, comme tous les habitants de la région, nous sommes allés admirer les voiliers qui chaque année viennent parader dans le port de Nagasaki.

Mais cette fois-ci nous n'avons pas eu la chance de voir notre numéro tiré au sort pour participer à une croisière d'une heure sur la jonque « Feifan ». Bah, comme on dit, malheureux au jeu, heureux en amour !

Pour nous consoler, nous nous sommes dirigés vers les guinguettes pour nous offrir des brochettes de seiche grillée en sauce (impossible de passer devant le stand sans saliver de gourmandise, quand ce fumet sucré-salé vient vous chatouiller la narine !)

Le commerçant et sa femme, apprenant que nous étions français, nous ont fièrement expliqué que leur fils, karatéka, avait séjourné en Corse, car apparemment le dojo de la préfecture de Kumamoto organise des échanges avec celui de l'Île de Beauté. « Nous ne sommes jamais allés plus loin que Hokkaidô, mais notre fils, lui, a visité toute l'Europe ! » Respect à vous, ô marchands ambulants, enfanteurs de conquistadores…

Serait-ce l'une des conséquences du kôsa (黄砂), ce sable jaune qui profite de la vigueur des vents printaniers pour venir se déposer du fin fond du désert de Gobi sur tout le littoral japonais ? Toujours est-il que depuis lundi, je me traîne une angine carabinée qui m'a littéralement mise sur les rotules mercredi.
J'ai donc passé le « Jour de la Constitution » à dormir, incapable de sortir du périmètre de mon cimetière chéri où j'espère que les mauvais esprits n'ont pas insidueusement pris possession de mon corps pendant que je faisais la sieste au soleil !

Dieu merci, j'étais assez requinquée jeudi pour ne pas avoir à annuler notre sortie à Hasami. Conduits par mon collègue Tetsuya et son amie Mitsuko, nous avons donc découvert l'atelier de Monsieur Tomita, perché au sommet d'un village en pleine campagne, à la lisière des préfectures de Nagasaki et de Saga.
Monsieur Tomita n'est pas un vieux sage famélique à barbe blanche, c'est un jeune brun joufflu qui a grandi en regardant comme nous les dessins animés à la télévision ; de sorte qu'il prend autant de plaisir à façonner des bols en respectant les canons d'une tradition plusieurs fois centenaire, que des robots-lanternes sortis tout droit de son imagination.

Sous sa direction, nous nous essayons avec plus ou moins de bonheur à l'art de la poterie sur tour. Mais vous n'aurez pas (pour le moment) l'occasion de vous moquer de nos œuvres, car il faudra patienter encore un bon mois pour qu'elles soient prêtes à être cuites et vernies par notre professeur.

Du coup, comme nous ne voulions pas repartir les mains vides, nous avons fait des emplettes à la foire de Hasami, qui nous a paru encore plus gigantesque que celle d'Arita.

Plus qu'un marché, c'est un vrai salon des artisans de la région, avec distribution de plan au « Point Information » pour être sûr de ne rater aucune enseigne.
Bien entendu, nous n'avons pas manqué de visiter le stand de Monsieur Tomita, où, après avoir longuement hésité entre des tasses à thé, des bols à riz et des robots de différents formats et dans différentes postures, nous avons fini par adopter ce sympathique petit hippopotame dont le franc sourire ressort si bien sous l'éclairage de ma lampe florale (que mon pacsé trouve affreusement kitsch, mais qui est pour moi la classe-même, car elle s'allume sans interrupteur, par simple pression, et offre trois degrés de luminosité différents, mais là je m'égare. Tout ça pour vous dire de ne pas vous laisser berner par ce « nous » consensuel que j'emploie depuis le début de cette note, mais qui contient difficilement nos goûts divergents !)

Vendredi, nous avons démarré la journée au Shôfukuji, qui est à mes yeux le plus joli temple de Nagasaki, à défaut d'être le mieux entretenu. Sans doute son état de semi-délabrement ajoute-t-il à son charme…
C'est un monastère zen du 17e siècle, avec un joli jardin verdoyant planté d'arbres tropicaux, que l'on peut admirer depuis une sorte de véranda carrelée de larges dalles ocre rouge. En été, c'est un bonheur de fraîcheur d'y poser la plante de ses pieds nus (mais gare aux moustiques !)

Après ce ressourcement spirituel, nous sommes allés voir l'exposition consacrée à l'anniversaire des 150 ans de relations diplomatiques russo-japonaises, au Musée de l'Histoire et de la Culture de Nagasaki. L'exposition en elle-même avait assez peu d'intérêt (et les explications étaient si parcimonieusement « diplomatiques » qu'un Occidental honnêtement cultivé – comme, à tout hasard, mon pacsé – pouvait difficilement comprendre par exemple quelle puissance l'avait emporté dans la guerre russo-japonaise, ce qui n'est quand même pas un détail puisqu'elle a marqué le début de la dégradation irrémédiable des relations entre les deux pays. Et n'allez surtout pas imaginer qu'en écrivant cela, je me moque de mon malheureux fiancé, moi qui ne savais même pas que l'aigle à deux têtes était le symbole des tsars russes, qui l'avaient piqué aux empereurs romains !), mais le musée, que nous visitions tous les deux pour la première fois, est un bel ensemble architectural qui offre une présentation amusante de l'histoire des relations entre Nagasaki et le reste du monde.

Pour rester sur la note slave, et comme la
« Journée des Enfants » est avant tout en réalité celle des garçons (celle des filles étant célébrée le 3 mars, jour de la « Fête des Poupées »), j'ai invité mon amoureux à dîner à Harbin, qui, comme son nom ne l'indique pas, est LE restaurant russo-japonais de Nagasaki.
Bon, ce seul paragraphe pourrait vous amener à conclure que le japonais est infoutu d'appeler un chat un chat, mais encore une fois ce serait assez injuste, car en général c'est une langue d'une clarté presque prosaïque ; l'utilisation de la combinaison des idéogrammes (les fameux kanji, qui donnent à suer sang et eau à tout apprenti japonisant) permet à mon avis une appréhension beaucoup plus précise du sens du vocabulaire utilisé que dans les langues occidentales. Par exemple, là où le mot
« autoroute » laisse à l'appréciation de chacun ce qui caractérise une autoroute par rapport à d'autres routes où circulent des voitures, le mot « kôsoku-dôro » (高速道路), dont les 4 caractères signifient « route à grande vitesse », ne laisse pas de place au doute.
(Oui, je m'égare encore, mais je découvre en même temps que vous qu'il m'est impossible de faire le récit d'un dîner romantique sur un blog !)

Et nous sommes déjà samedi soir : il a plu toute la journée, nous nous sommes félicités d'avoir profité du beau temps des jours précédents, sans nous remettre franchement au travail pour autant aujourd'hui. Une fin de semaine tout en douceur, qui nous ferait presque oublier que lundi n'est pas férié ici !


01 mai 2006

 

Le 1er mai…

… pas plus que le lundi de Pâques, n'est férié au Japon. Et pas un brin de muguet à l'horizon. Putain de bordel à queue.

Heureusement, on se rattrape avec les 3, 4 et 5 mai qui sont respectivement promus « Jour de la Constitution », « Jour férié national » et « Journée des Enfants ». La majorité des salariés japonais (hors commerçants) seront donc en « vacances » de mercredi à dimanche : c'est la fameuse « Golden Week » pendant laquelle tous les sites touristiques sont bondés, et les hôtels hors de prix, car les Japonais profitent de ces jours de congés (forcés, pourrait-on dire) pour voyager.

Pour ma part, j'ai prévu d'aller prendre un cours de poterie dans la ville de Hasami, avec mon pacsé en visite dans l'Archipel… Et vous, c'était comment votre 1er mai ?

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