15 octobre 2006

 

Crépuscule

C'est à croire que le pacsé et moi faisons la course aux plus beaux couchers de soleil sur la ville.

Ce soir, nous avons emprunté le chemin en escalier qui se faufile entre le temple de Zenrin et celui de Jinsô pour monter jusqu'au parc Kazagashira, où trône une statue du rônin loyaliste Ryôma Sakamoto.

À gauche, la statue de Ryôma ; à droite, le pont Megami.

Ryôma est mort assassiné à 33 ans, peu de temps avant la chute du gouvernement militaire du Bakufu et la Restauration de l'empereur Meiji, pour laquelle il avait tant œuvré. C'était aussi un homme d'entreprise qui a contribué à la modernisation du Japon en créant Kameyama Shachû, la première importante société de commerce et de transport maritime qui allait donner naissance à l'empire Mitsubishi.

Alors que le bateau où il avait embarqué à Satsuma entrait dans le port de Nagasaki, il aurait confié à son fidèle compagnon Yônosuke Mutsu : « Nagasaki est mon espérance. Cette ville sera le marchepied de transformations cruciales au Japon ».

« Le monde s’endort / Dans une chaude lumière. »

Je regarde ce gros paquebot qui quitte lentement la baie en me demandant où il peut bien aller.

Un peu plus tard, nous dévalons les marches entre les tombes en essayant d'éviter les toiles d'araignée dans la semi-obscurité. Les statues de jizô, avec leur bavoir rouge, se détachent sur le crépuscule.

09 octobre 2006

 

Taiiku no Hi

Aujourd'hui, c'était férié au Japon.

En effet, depuis 1966, l'archipel consacre une journée à l'éducation physique (taiiku), pour commémorer les premiers Jeux Olympiques qui avaient eu lieu sur son territoire deux ans auparavant. C'étaient d'ailleurs les premiers Jeux Olympiques d'Asie, et Tokyo avait été pressentie pour les accueillir dès 1940, mais la Deuxième Guerre mondiale avait entraîné leur annulation.
Jusqu'en 2000, la Journée de l'Éducation physique était célébrée à date fixe le 10 octobre, mais maintenant elle a lieu le deuxième lundi d'octobre pour permettre aux Japonais de bénéficier d'un week-end de 3 jours.

Cependant, les habitants de Nagasaki, eux, n'ont pas chômé ! Car les 7, 8 et 9 octobre, la ville de Nagasaki devient tous les ans le théâtre de l'un des plus importants festivals du Japon, le kunchi (terme qui désigne le neuvième jour du mois d'octobre dans le calendrier lunaire).
Depuis 1634, le festival a été célébré autour du temple shintô de Suwa pour réaffirmer l'existence d'une identité japonaise après le bannissement des chrétiens. Il s'agit donc à l'origine d'une fête nationaliste et anti-chrétienne, mais aujourd'hui ces traits ne sont guère perceptibles, et c'est surtout l'occasion pour les différents quartiers de la ville de rivaliser de somptuosité pour rappeler leur histoire propre. Cette année, un de mes collègues britanniques est d'ailleurs entré dans l'Histoire, puisqu'il est le premier étranger à avoir été invité à participer au spectacle du quartier qui a présenté la danse de la Baleine, soit la danse la plus attendue avec celle du Dragon. Il m'a expliqué que les préparatifs avaient commencé dès l'an dernier, et qu'il était exposé à une très forte pression médiatique, sans parler de son épouse japonaise qui était pourchassée jusque dans les rayons du supermarché par les caméras de la télévision locale.

Il faut savoir que tous les quartiers ne participent pas en même temps au festival. Chaque année, 6 quartiers seulement sont à l'honneur, de sorte que par ce roulement un même quartier n'est amené à participer à la fête qu'une fois tous les 7 ans. Alors quand son tour arrive, c'est un peu « noblesse oblige » : chacun n'épargne ni ses efforts ni son argent pour que le spectacle présenté par le quartier où il habite soit le plus beau de tous.
La fête commence dès le 3 octobre, avec le niwa-mise (littéralement : « la présentation du jardin ») où chaque quartier participant expose ses objets traditionnels (en général, les objets d'apparat qui serviront lors de la parade), ainsi que les cadeaux reçus (avec les noms des généreux donateurs inscrits sur des losanges de papier appelés hana, « fleurs ») et les offrandes faites aux dieux. Quant au spectacle lui-même, c'est une succession de parades et de danses où les démonstrations de force physique occupent une place importante. Ainsi, c'est un seul homme qui porte le kasaboko, sorte de dais monté sur un pilier et qui pèse de 130 à 150 kilos selon les quartiers. Il faut aussi une force considérable et une coordination parfaite pour l'équipe des hommes qui manœuvrent à toute vitesse les bateaux qu'ils font avancer et reculer sur la scène avant de les faire tourner sur eux-mêmes dans une frénésie païenne.

Mais cette année, la dernière journée du kunchi a été détrônée dans les informations par l'annonce du premier essai nucléaire nord-coréen. Les déclarations indignées des survivants de la bombe atomique ont remplacé les visages des festivaliers sur les écrans de la télévision locale. Malgré le ciel bleu, la fête avait un goût amer.

À dire vrai, le pacsé et moi n'avons pas suivi de près le festival, car notre week-end a été pris par d'autres activités.
Samedi, nous avons passé l'après-midi à travailler sur un projet de documentaire commun, avant de rejoindre Toyoko dans la boutique de vaisselle de sa mère. Elle bradait bols, assiettes et services à thé pour écouler les stocks avant de baisser définitivement le rideau, sa mère n'étant plus assez autonome pour s'occuper de ses affaires.
- Et alors, ce local, vous allez le louer à un autre commerçant ?, lui ai-je demandé.
- Oh, penses-tu, il n’y a pas assez de passage ici. On va fermer et basta.
- Quoi, pas assez de passage, dans une rue piétonne, au pied du parc Glover ?
- Hélas oui : les touristes bifurquent quelques mètres avant vers l’entrée du funiculaire qui mène au parc, sans s’aventurer jusqu’ici.
- À 5 mètres près, je suis sûre qu’il y a moyen de les attirer !
- Si tu veux relever le défi, je peux te louer le local pour 5 000 yens par mois. Et pour te loger, il y a juste derrière une petite maison que je te ferai à 25 000 yens.
- 30 000 yens [soit à peine plus de 200 euros] pour le local ET la maison ? Ça me donne vraiment envie de tenter l’aventure !
Le quartier est ravissant, avec ses ruelles calmes à deux pas de la cathédrale Oura, et ses modestes échoppes tenues par de souriants septuagénaires. Alors je me prends à rêver d’une vie toute différente, et les noms d'enseignes défilent dans ma tête : « Aux délices de la Lectrice », « Al Kebab » et tutti quanti, jusqu'à ce que je me souvienne que je ne sais pas faire cuire un œuf. C'est rageant, je sens un tel potentiel dans ce lieu !

Tandis que j'ébauche intérieurement les plans de ma future petite entreprise, nous nous dirigeons vers le parc Glover pour profiter des dernières nocturnes de l'année.
Merci au pacsé pour m'avoir cédé cette photo !

La vue sur la baie est magnifique depuis la plateforme où nous laisse le funiculaire. On dirait que tout conspire à me faire regretter mon départ prochain !

Dans les allées du jardin, nous tombons sur une mini-représentation d'Hamlet, d'abord dans la langue de Shakespeare, puis transposé dans le dialecte de Nagasaki. Essayez d'imaginer un Hamlet qui ponctue ses tirades de « p’tain, con ! », et vous comprendrez pourquoi Toyoko et moi avons ri aux larmes.
Les illuminations féériques du parc me donnent envie de devenir à mon tour un personnage de fiction, alors je pousse mon petit monde vers la maisonnette de location de costumes, où chacun trouve son compte, à l'exception du Yorkshire Hana-chan qui se console dans les bras de sa maîtresse pendant que la nuit tombe sur la ville.

Nous finissons la soirée dans notre cantine préférée du centre-ville. Le patron a repris du poil de la bête depuis ma précédente visite, même si son talon ne s'est pas encore remis au point de pouvoir à nouveau fouler lui-même la pâte de sarrazin pour confectionner ses nouilles. Mais les vannes pleuvent en abondance, et ma poitrine tombante fait les frais de cette vitalité retrouvée…

Le lendemain, Noriko et son mari Sôichirô nous emmènent en excursion du côté de Shimabara, où il reste, à titre de curiosités, quelques maisons à toit de chaume dans l'ancien quartier des samouraïs.
Est-ce le résultat de l'influence chrétienne dans la région, ou celui de l'exode rural comme me le soutient Noriko ? Toujours est-il que Shimabara semble engourdie ce dimanche : les magasins ouverts dans l'arcade commerçante se comptent sur les doigts de la main, et dès 16h30 on en voit qui remballent la marchandise.
Heureusement, le restaurant en face du château est ouvert, qui propose la spécialité de Shimabara : le guzôni, sorte de soupe à la pâte de riz (mochi) et aux légumes qu'on mange traditionnellement au Nouvel-An.
Nous digérons ce déjeuner un peu étouffe-chrétien en allant admirer les carpes qui se prélassent dans l'onde pure (Shimabara est célèbre pour ses sources d'eau douce qui en font une station thermale appréciée).
Je peux comprendre le dégoût d'Amélie Nothomb pour les carpes qui font affleurer leur bouche béante à la surface des mares croupies, mais celles de Shimabara n'ont rien de répugnant. C'est vraiment un beau spectacle de voir le soleil jouer tout à la fois sur les plis de l'eau et sur les écailles des carpes, comme un kaléidoscope vivant.
Avant de quitter Shimabara, nous sommes allés voir la statue du Bouddha allongé dans le cimetière du monastère Koto-ji, qui avec ses 8,6 m de long serait le plus grand du genre au Japon. Bon, cela fait un peu court à côté des 46 m du Bouddha du Wat Pho de Bangkok, mais l'endroit est calme et plaisant. Si l'un d'entre vous peut m'expliquer la signification de la position des mains du Bouddha, je suis preneuse en tout cas.

Pour terminer cette journée dans la sérénité la plus complète, nous sommes allés nous délasser dans un
onsen face à la mer, du côté d'Obama. L'installation était des plus simples (un unique bassin en bois bordé de 2 douches, assorties de l'interdiction de se savonner ou de se shampouiner), mais quel bonheur de suivre les dégradés de bleu du ciel après le coucher de soleil !

Après cela, si certains persistent à dire que le Japon est un pays de fous dopés au travail et ne connaissant plus de la nature que les simulacres offerts par les nouvelles technologies, tant mieux : ça fera plus de place dans les onsen pour les autres !

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