04 septembre 2006

 

Préparatifs

À quelques heures du décollage, tout ce que je sais de la Chine, c'est que Pékin se trouve au nord de Shanghaï. Et que ceux qui auront le mauvais esprit de me faire remarquer qu'il suffit d’observer les caractères qui forment le nom de Pékin pour savoir qu'il s'agit de la « capitale du nord » gardent leurs mesquines observations pour eux : moi aussi, j'ai étudié les idéogrammes chinois, mais il n'empêche, on pourrait très bien imaginer que Shanghaï se trouve encore plus au nord que Pékin !

Je ne sais pas pour vous, mais moi, plus les années passent, et moins je prépare mes voyages.
Est-ce parce que, mon budget étant moins serré que dans mes vertes années, je n’éprouve plus le besoin de programmer le moindre mouvement ?
Mais planifier un voyage, ce n'est pas seulement une nécessité, c'est aussi pour beaucoup de gens un plaisir par anticipation, et donc un plaisir à part entière, qui sera bientôt doublé par celui du voyage en lui-même.
Alors pourquoi cette nonchalance ? Franchement, je ne sais pas ; j'ai l’impression que l'hyperactivité qui a caractérisé ces dernières périodes entraîne un vrai désir de vacance, au sens étymologique du terme.

À défaut de compulser les guides, j'ai fait les soldes au centre commercial près de chez moi pour investir dans un équipement minimal.
Tout d'abord, un sac à dos au cas où nous décidons de faire une marche dans la montagne, pour ne pas revivre le cauchemar de l'an dernier où nous avions improvisé la montée au pic Daecheongbong (1708 m) dans le parc national du Seoraksan, en Corée du Sud. En bonne gourde, j'avais juste emporté une demi bouteille d’eau dans un sac à main, et j'avais l’autre main occupée par un parapluie, bien entendu assez long pour m'encombrer en venant taper dans mes jambes, mais trop court pour me servir de bâton de marche. Nous nous étions retrouvés face à des pentes si abruptes qu'il y avait des cordages pour en permettre l'ascension. Les anses du sac à main distendues autour des épaules, et le parapluie entre les dents, je m'étais jurée qu'on ne m'y reprendrait plus. Dont acte.
La ceinture banane, c’est pour garder l'essentiel sur moi pendant les longs trajets en train (12 heures entre Shanghaï et Pékin, et encore il faut s'estimer heureux, car c'est un super express !) Sobre, de belles proportions, en cuir noir de mouton bleu (c'était écrit sur l'étiquette), fabriquée en Chine, elle me paraît parfaite pour remplir son office.
Bon, je reconnais que le sac à main en moleskine doré n'était pas absolument indispensable, mais je vous assure, j'ai bien vérifié la bandoulière : elle s'ajuste parfaitement à l'épaule.
Sacomaniaque, moi ? Ce qui est certain, c’est que je ne suis pas prête d'avoir fini de vider mon sac !

Au titre des préparatifs, j'ai également profité d'un déplacement à Fukuoka mardi et mercredi derniers (excursion rocambolesque que je raconterai peut-être dans une prochaine note) pour me procurer quelques yuans, car aucune banque à Nagasaki n'assure le change de cette devise. Je savais vaguement que la monnaie chinoise se disait « yuan » en français, mais évidemment j'étais bien incapable de dire cela en japonais à la banque mardi dernier, d'où le dialogue suivant avec la guichetière, qui a vraiment dû me prendre pour la dernière des crétines :
- Bonjour Madame, je voudrais acheter… heu… ben de la monnaie qu'on utilise en Chine…
- Vous voulez acheter des « gens » ? (prononcez : « gaine »)
- Heu, moi j'aurais plutôt dit des « yuans », donc peut-être des « yuens » en japonais…
- Ah, vous voulez acheter des yens japonais avec des dollars, c'est cela ?

N.B. : au Japon, un commerçant poli répondra toujours à la question de son client par une autre question, pour montrer qu'il veut s’assurer d’avoir bien cerné la demande de ce dernier.
- Non non, là j'ai apporté des yens, et je vais aller en Chine.
- Donc ce sont bien des gens que vous souhaitez acheter ?
- Heu, peut-être… Attention hein, je ne vais pas à Taïwan, ni à Hong-Kong, je vais sur le continent, là où il y a des grandes villes comme Pékin, heu « Beijing » je veux dire…
- Je vois… Et vous voulez changer combien de yens ?
- Heu, 50 000 environ.
- Bien. Pour ce genre de petit montant (NdA : heu, 333 euros quand même !), je vais plutôt vous diriger vers le changeur automatique.

Elle voulait clairement abréger la transaction, mais, professionnelle jusqu’au bout, elle a quand même mis un point d’honneur à m'expliquer – à toute vitesse – le fonctionnement de la machine, dont l'efficacité m’a, comme toujours au Japon, émerveillée.

C'est ainsi que j'ai découvert mes premiers billets chinois sur lesquels figurent, j'aurais dû m'en douter, le portrait de Mao Zedong. Ça a réveillé la sourde mais réelle appréhension que j'ai à l’idée de me rendre dans un pays communiste. Je me suis souvenue de cette angoissante nuit d'étape forcée au Novotel de la zone internationale de l'aéroport de Moscou, avec confiscation des passeports, fenêtres scellées, étage gardé et ascenseur à code pour qu'on ne puisse pas s'échapper. Et pourtant, c'était en septembre 2004 !
Je me suis aussi rappelé les Russes et les Chinois que j'avais côtoyés il y a 6 ans lorsque j'habitais dans une résidence universitaire internationale à Tokyo. Points communs de ces deux groupes : très bruyants et très communautaristes (mais j'avais fini par être adoptée par les Russes). Ce qui me fascinait chez les Russes : la nostalgie qui exsudait de toutes leurs chansons, et leur sens extrême de la dérision, qui s'accompagnait parfois de déchaînements de violence. Ce que j'appréciais chez les Chinois : l'égalité hommes-femmes dans la répartition des tâches ménagères, leur gestion pacifique des conflits, leurs talents culinaires et leur sens inné de la diététique et des médecines douces. Mais malgré ces qualités, j'avais le net sentiment qu’ils venaient d’un monde à part, avec des valeurs profondément différentes des miennes.

Mais en rentrant à Nagasaki, je suis retombée sur un vieil exemplaire* de l’édition hebdomadaire du Nouvel Observateur, qui publiait les résultats du sondage ci-contre.
La question « La libre entreprise et l'économie de marché sont-elles le meilleur système pour construire le futur ? » est loin d'être provocante ; quelle surprise de voir qu'elle remporte l'adhésion des trois quarts des Chinois interrogés, alors qu'elle n'obtient l’approbation que d'à peine plus d'un tiers de Français ! Serait-ce le monde à l'envers ?
Même le Nouvel Obs, qu'on peut difficilement taxer d'ultra-libéralisme, constate dans le chapô de l'article « un divorce inquiétant qui fait de la France une exception parmi les pays développés ». Alors les Chinois, pas plus communistes que vous et moi, et plutôt moins, d'ailleurs…


* N° 2171 du 15 au 21 juin 2006, p. 36.


Je n'ai pas lu les guides, mais mon œil de lynx n'a pas manqué de noter sur le billet de 100 yuans que Mao est mort il y a 30 ans, et mon esprit fureteur s'est empressé de vérifier la date exacte sur la toile : le 9 septembre 1976 ! Or le 9 septembre 2006, nous devrions justement être à Pékin (si toutefois nous parvenons à trouver des places dans ces fameux trains où on ne peut pas réserver plus de 3 jours à l'avance, mais pas moins de 2 jours avant le départ, cherchez l'erreur…) Il risque d'y avoir foule place Tiananmen – puisque, comme vous le savez certainement mieux que moi, c'est là où est conservée et exhibée la dépouille momifiée du Grand Timonier – et nous comptons bien être du nombre…

Sur ce, je vais dormir trois petits quarts d’heure. À plus !

Comments:
Chère Lectrice,

Ca fait du bien de retrouver ton blog, même s'il date un peu; à Port-Vila, je ne consultais que le courrier.
Comme je comprends ton appréhension du 4 septembre! Je n'ai connu de l'URSS que l'escale technique entre Tokyo et Paris, mais même la zone de transit me trouvait tendu, et je n'étais soulagé qu'en réintégrant la cabine du Boeing d'Air-France.
Quant au sondage du NouvelObs, il y aurait bcp à dire sur l'ignorance des Français, en matière d'économie, à laquelle s'ajoute le souci du "paraître": il est très mal vu, dans l'intelligentsia, de paraître "libéral", si peu que ce soit. Je mets donc fortement en doute la sincérité des réponses, qui ne correspond pas aux pratiques quotidiennes des Français. Je mets cette attitude en parallèle avec le monde enseignant, que je trouve terriblement bourgeois, mais qui se revendique "de gauche".
Je t'embrasse, mon bonjour à ton pacsé,
Lankou
 
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