02 juillet 2006

 

Les bruissements du subjonctif

Au détour d'un banal exercice grammatical — quelques amorces de phrases à compléter librement en employant le subjonctif — j'obtiens comme un précipité des préoccupations de mes élèves :

J’en ai marre que mon père boive tous les soirs.
J’ai très peur que le Japon perde le match de foot contre le Brésil.
[NDRL : a posteriori, on se rend compte qu’il y avait de quoi. Pauvre Japon, éliminé à 4 contre 1 ! Mais cocorico, la France a lavé cet affront.]
Je suis furieux qu’il se soit moqué de moi.
Je suis vraiment en colère qu’elle ne m’ait jamais écrit.
J’en ai marre qu’elle pleure.
Je voudrais bien qu’on aille au Canada ensemble.
J’ai très peur que mon flirt soit dévoilé.
Ce n’est pas la peine que je languisse d’amour.
Il faut absolument que tu sois sage.
Je voudrais bien que tu sois à côté de moi.
J’en ai marre que tu dises des mensonges.
Je ne crois pas que tu tiennes parole.
Ce n’est pas la peine que tu cries.
J’ai très peur que tu ne m’aimes pas.
[NDRL : je me demande toujours dans quelle mesure ce « tu » s’adresse à moi…]
Il faut absolument que je fasse des efforts.
Je voudrais bien qu’on m’écoute.

« Écoutez-moi », c’est justement le titre de la rétrospective de Rey Camoy qui se tient en ce moment dans le classieux Musée Préfectoral des Beaux-Arts, et que je suis allée visiter aujourd'hui faute d'avoir le courage de faire le ménage, et l'énergie d'aller au dôjo.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas un univers très riant. Imaginez Goya à ses heures les plus sombres, multipliez le résultat par cent, et vous aurez un aperçu des corps crépusculaires de Camoy. Même ses amoureux, si étroitement enlacés qu'on ne distingue pas leur visage, ont moins l'air de s'embrasser que de se consoler d'une peine infinie. Quant à ses églises, blocs massifs posés au beau milieu d'un no man's land aux couleurs polaires, leurs façades aveugles, sans portes ni fenêtres, nous laissent désespérément sur le carreau.

« Pour être heureux, il ne faut pas trop penser », me lance Takakazu en avisant le catalogue de l'exposition que j'ai posé sur un coin de table du Bistro Guernica. Takakazu est un de mes anciens élèves, et c'est aussi un ancien tout court, puisqu'il a plus de 65 ans, mais (comme tous ceux de cet âge que je fréquente d'ailleurs !) c'est loin d'être un vieux ; du fond de sa retraite où il peint et sculpte des figurines de Bouddha, il pose un regard amusé et acéré sur ses compatriotes. Envoyé par une grande entreprise textile japonaise pour choisir des tissus, il a vécu à Milan et à Paris à la fin des années 1960, et ne s'est pas privé de faire les 400 coups en Europe. Maintenant il se définit comme un « épicurien taoïste », et on se retrouve une fois par mois pour bavarder agréablement ; c'est le seul Japonais (après Tomoaki, qui est parti il y a peu rouler sa bosse en Roumanie) avec qui je puisse parler sans prendre de pincettes, et je ne manque pas de lui poser les questions les plus indiscrètes, du type est-ce qu'il ne regrette pas de ne pas avoir eu d'enfant (réponse : non, absolument pas, puisqu'on ne peut pas regretter un bonheur qu'on n'a pas connu) et est-ce qu'il n'a pas peur de mourir seul (réponse : si, bien sûr, mais comme le chante Brel, de toutes façons on se retrouve seul). Tout cela ne nous empêche pas de festoyer gaiement, et, alors que nous en sommes au sorbet à la pastèque, il me propose d'aller en boîte car il a un copain DJ qui mixe pour la soirée mensuelle « Fish House Music Night » du club Ayers Rock. Venant de Takakazu, ce genre de fréquentations ne m'étonne absolument pas, et nous retrouvons le copain DJ dans un café design qui vient d'ouvrir ses portes le mois dernier, et qui a des baies vitrées ouvertes sur la rue comme les cafés parisiens, malgré la climatisation fonctionnant à plein régime. Je fais remarquer que ce n'est pas très «Cool Biz » et le jeune DJ me fusille du regard par-dessus le goulot de sa Corona, comme si j'étais une suppôt de Koizumi.

Finalement, aux environs de minuit, on se dirige vers l'Ayers Rock, un tout petit club en sous-sol avec un espace bar et un espace danse à peine plus grand que mon appartement. Mais l'ensemble est assez intimiste et plutôt sympa. Il y a des pétales de roses rouges qui recouvrent toutes les tables, je me demande combien de fleurs il a fallu effeuiller. Je demande un jus de fruit, on m'apporte un jus d'orange sanguine, apparemment le thème est au rouge ! Le DJ se met aux platines, et malgré tous les préjugés que je nourris envers les buveurs de Corona, je me laisse gagner par ses progressions musicales, et au bout d'une demi-heure de vibrations de caisson de basses, moi qui suis raide comme un piquet, je suis prise d'une irrépressible envie de danser. Je quitte le club à contre-cœur sur le coup des 2 heures du matin (car je dois bosser le lendemain, oui, un dimanche !) en me promettant de revenir le mois prochain.


Comments:
La lectrice, que je croyais écrasée sous le poids de travail d'après ce qu'elle me disait, décompresse ainsi, écrit comme une déluge (moi pas encore lu Otaksa), tjrs pleine de curiosité, aura la peau des tomates !
 
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