01 avril 2006
Schisme autour de la photocopieuse

Avec ses 8 salles logées dans le centre commercial qui jouxte la gare, l'United Cinemas est LE multiplexe de la ville. N'empêche qu'en plein milieu de l'après-midi, seul un film passait. Ça tombait bien, c'était justement celui que mes élèves voulaient voir...
Donc au lieu de découvrir une nouveauté japonaise, je me suis dévissé le cou — car il ne restait plus que des places au premier rang — devant une resucée de l'Exorciste brodée sur une trame judiciaire. Je grogne pour la forme, mais en réalité j'ai été très bon public, car je suis la dernière des froussardes : promenez-moi une caméra subjective dans un intérieur un peu sombre, saupoudrez cela de violons saccadés soulignés de chœurs d'enfants suraigus et je frôle la syncope. Ajoutez la mention 実話 ("histoire vraie") en gros caractères sur l'affiche et ma terreur est complète ! Encore une bonne raison de ne pas me coucher avant 3 heures du matin, heure du Diable d'après le film. (Ce qui m'amène à remarquer incidemment que la séance débutait à 15h, heure du Christ comme vous l'aurez deviné. C'est peut-être pour cela qu'il n'y avait pas l'embarras du choix !)
Le lendemain, alors que je me rendais au local d'impression de l'École, je suis providentiellement tombée sur le pasteur K, un motard moustachu au teint blême qui, outre quelques cours sur l'histoire du christianisme, assure une fois par semaine, à l'heure du déjeuner, un office obligatoire pour les étudiants de 1ère année.
Je n'avais jamais eu l'occasion de discuter de théologie avec le père K. Entre le ronronnement de la photocopieuse et le cliquetis de la perforatrice, le moment m'a paru idéal.
- Mon Père, j'ai vu un film effarant hier, une histoire d'exorcisme inspirée d'un fait divers. J'aurais voulu avoir votre opinion là-dessus : pensez-vous que le diable puisse nous posséder ?
- Non, je ne le crois pas. Et comme je ne le crois pas, cela me met hors de danger. Seuls les gens qui croient cela possible sont susceptibles d'être possédés. Je les plains, les malheureux, car ils croient sincèrement que le diable les possède.
- Vous les plaignez, mais ne faudrait-il pas les aider ?
- À quoi bon leur dire que ce qu'ils pensent subir dans leur chair n'existe pas ? C'est un dialogue de sourds.
- Non, je ne le crois pas. Et comme je ne le crois pas, cela me met hors de danger. Seuls les gens qui croient cela possible sont susceptibles d'être possédés. Je les plains, les malheureux, car ils croient sincèrement que le diable les possède.
- Vous les plaignez, mais ne faudrait-il pas les aider ?
- À quoi bon leur dire que ce qu'ils pensent subir dans leur chair n'existe pas ? C'est un dialogue de sourds.
J'ai trouvé que ses propos manquaient un peu de charité chrétienne. Que mes lecteurs et amis protestants me pardonnent, mais j'ai senti affluer mes vieilles préventions de catholique envers le rigorisme luthérien.
- Mon Père, ne pensez-vous pas que dans ce genre de situation, notre devoir est de feindre de croire à ces superstitions ? Peut-être qu'en entrant dans leur logique folle, on est plus à même de les ramener vers la terre ferme. Est-ce que les prêtres exorcistes font autre chose au fond ?
- Je ne sais pas en quoi consistent les pratiques exorcistes, mais ce qui est certain, c'est qu'il faut parler la même langue pour pouvoir s'entendre et agir ensemble.
- Reste à savoir qui fera le pas vers la langue de l'autre. Or, si j'ai bien compris, s'ils parlaient la vôtre, le problème ne se poserait pas puisqu'ils ne seraient pas possédés. Donc vous, êtes-vous prêt à parler la leur pour les secourir ?
- Oui, si de cette manière je peux leur venir en aide, a-t-il fini par me concéder en me regardant comme si j'étais le diable.
Après, je lui ai demandé plus généralement s'il pensait que le mal pouvait exister comme force opératoire ; il m'a répondu qu'en tant que protestant, il s'en tenait à la stricte lecture des Saintes Écritures, ce qui l'amenait à conclure que tout le bien vient de Dieu, et que tout le mal vient des hommes.
Parlions-nous la même langue ? Apparemment, aucun de nous deux n'avait réussi à franchir la distance qui nous séparait. Nous nous sommes quittés sur une incompréhension mutuelle.
Le jour suivant, j'ai eu une migraine abominable, de celles qui vous compressent la boîte crânienne et vous vrillent l'œil. Tout en dégobillant ma douleur au-dessus d'une bouche d'égout, je me suis dit que ça devait être ma juste punition pour avoir provoqué le pasteur K. Fallait pas être irrévérencieuse avec le Révérend.
- Je ne sais pas en quoi consistent les pratiques exorcistes, mais ce qui est certain, c'est qu'il faut parler la même langue pour pouvoir s'entendre et agir ensemble.
- Reste à savoir qui fera le pas vers la langue de l'autre. Or, si j'ai bien compris, s'ils parlaient la vôtre, le problème ne se poserait pas puisqu'ils ne seraient pas possédés. Donc vous, êtes-vous prêt à parler la leur pour les secourir ?
- Oui, si de cette manière je peux leur venir en aide, a-t-il fini par me concéder en me regardant comme si j'étais le diable.
Après, je lui ai demandé plus généralement s'il pensait que le mal pouvait exister comme force opératoire ; il m'a répondu qu'en tant que protestant, il s'en tenait à la stricte lecture des Saintes Écritures, ce qui l'amenait à conclure que tout le bien vient de Dieu, et que tout le mal vient des hommes.
Parlions-nous la même langue ? Apparemment, aucun de nous deux n'avait réussi à franchir la distance qui nous séparait. Nous nous sommes quittés sur une incompréhension mutuelle.
Le jour suivant, j'ai eu une migraine abominable, de celles qui vous compressent la boîte crânienne et vous vrillent l'œil. Tout en dégobillant ma douleur au-dessus d'une bouche d'égout, je me suis dit que ça devait être ma juste punition pour avoir provoqué le pasteur K. Fallait pas être irrévérencieuse avec le Révérend.