30 avril 2006

 

Fin de règne

Au Japon, il est presque aussi coûteux de faire ses courses et de rentrer se préparer sa petite tambouille que d'aller manger au restaurant. Ça tombe bien, je ne sais pas faire la cuisine.

J'avais donc mes habitudes dans un tout petit restaurant de sushi de mon quartier, qui proposait un menu du jour à des prix défiant toute concurrence.

Si la cuisine était familiale, l'ambiance l'était tout autant. La clientèle était constituée presque uniquement d'habitués : travailleurs du coin, petits imprimeurs, ouvriers sur les chantiers de construction qui fleurissent au nord de la ville pour étendre encore et encore le maillage urbain.

Lorsque j'ouvrais la porte coulissante le soir, il y avait toujours au moins une connaissance pour m'accueillir d'un aussi tonitruant qu'amical « Bonsoir, Professeur ! » et me proposer un verre de shochu (que je refusais systématiquement, car cet alcool me donne des maux de tête terribles le lendemain).

Et puis surtout, il y avait « Masta– » et « Mama-san », les patrons du restaurant, qui n'avaient pas d'enfant et me gâtaient comme leur propre fille.

Peu expansifs en paroles (d'ailleurs, je dois dire que j'avais du mal à comprendre les rares phrases que « Masta– » prononçait, car il parlait le dialecte de Nagasaki), ils mettaient leur point d'honneur à me servir ce qu'ils avaient de meilleur : j'avais toujours droit à du rab' de premier choix, une assiette de sashimi ou des couilles de morue (ne rigolez pas, c'est exquis). Ils sont directement responsables des 5 kilos que j'ai pris depuis mon arrivée, mais comment leur en vouloir ?

Et puis voilà, après 26 ans de bons et loyaux services, ils ont définitivement fermé boutique jeudi, parce que la santé défaillante de « Masta– », parce que le prix du loyer qui ne cesse d'augmenter alors que les bénéfices ne suivent pas.

Dommage. Cette modeste cantine, avec son lampion rouge comme un phare dans la nuit, c'était pour moi un petit peu l'âme du quartier.

Comments:
Chère Lectrice,

Pouvait-on imaginer pire nouvelle dans ton quartier? Tous ceux qui ont eu la chance de connaître "timide-Masta" et "conviviale-Mamasan" sauront que je n'exagère pas en parlant de tristesse.
Pressentiment? J'avais pris en photo la façade de la boutique, qui ne payait pourtant pas de mine, mais je savais ce qui vivait derrière. Un peu comme le "chapeau", vu par les adultes, là où Saint-Ex avait dessiné "un boa qui a avalé un éléphant".
Et puis, sûrement, je leur étais reconnaissant de l'affection discrète qu'ils te portaient. J'étais rassuré de les savoir là. Ils auraient eu leur place dans la galerie de portraits du "Fabuleux Destin d'Amélie..."
Restons positifs: ça fait du bien, longtemps, d'avoir eu la chance de rencontrer des gens comme eux!
 
quel dommage ! et que vont-ils devenir ?
 
Ils ne me l'ont pas dit clairement ; je suppose que « Masta– » va prendre sa retraite, tandis que « Mama-san » reprendra du service comme coursier (à l'époque, en plus du restau, elle assurait au petit jour la livraison à domicile des journaux dans le quartier).
Tu es rentré de Chine, ou bien as-tu finalement réussi à te connecter de là-bas, malgré la censure anti-blog ?
 
Rentré hier soir. Blogspot me semble censuré en Chine.
 
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