22 avril 2006

 

Derrière chez moi


Aujourd'hui, il a plu du matin au soir, ce qui est assez frustrant quand on n'a que le week-end pour flâner. Mais plutôt que de déplorer les mauvais tours du soleil qui ne nous avait pas quittés de toute la semaine, je vais vous parler de cette promenade dominicale que j'évoquais dans la précédente note.

S'il y a de très jolies balades à faire dans les secteurs historiques de la ville, il peut sembler moins évident de trouver à flâner dans les zones plus modernes comme celle où j'habite, et mes interlocuteurs sont souvent étonnés d'apprendre que j'aime me promener dans mon quartier.

Il est vrai que, contrairement à l'image d’Épinal qu'on peut s'en faire en Occident, l'essentiel de l'architecture urbaine japonaise est une horreur. Bien entendu, en écrivant cela, je ne parle ni des ravissantes petites maisons traditionnelles en bois, ni des gratte-ciels ultra-modernes de verre et d'acier, mais de tout ce qu'il y a entre ces deux extrêmes, et où habitent la plupart des citadins : à savoir, des immeubles en béton armé, généralement peu élevés, et dont l'esthétique occupe toute la palette possible des genres, du HLM stalinien au méga-kitsch. Au Japon, la beauté sera chaotique ou ne sera pas !

Nagasaki ne fait pas exception à la règle, et voilà le genre de paysages que je peux voir à l'abord des quartiers commerçants près de chez moi : un canal semblable à un égout, qui longe un hangar à taxis et autres pitoyables constructions des années 1970. Au loin, le flanc de la colline a été entièrement bétonné pour prévenir les éboulements. Sur la gauche, on aperçoit , couleur orange pisseux, une de ces constructions kitschissimes que j'évoquais plus haut.

Mon immeuble est plutôt laid, lui aussi, dans le genre clapier à lapins : bâti au-dessus d'un centre commercial transformé en parking après avoir fait faillite, il ne paie pas de mine. De plus, comme il donne de l'autre côté sur les nombreuses voies de la route nationale, je dors la plupart du temps avec des boules Quiès pour ne pas être réveillée par le bruit de la circulation.

Et pourtant, tout près de là, se niche une oasis de calme et de beauté. Pour y accéder, il suffit de prendre le petit chemin qui, derrière chez moi, serpente entre le magasin de fruits et légumes et le parking bordé par le distributeur automatique de boissons Coca-Cola, en faisant abstraction du dense réseau de fils électriques qui griffent le ciel (ils sont partout apparents au Japon, au point de faire partie du paysage urbain : dans une exposition consacrée à un château du Kansaï, j'avais pu constater avec amusement que les dessins d'enfants reproduisaient fidèlement le grand poteau électrique qu'on pouvait effectivement voir à gauche de l'entrée principale, mais sur lequel les regards adultes glissaient pudiquement…)

À quelques mètres seulement, la route est devenue si étroite que les voitures ne peuvent plus y circuler, et c'est là que commence le Nagasaki que j'adore. Le chemin entreprend l'ascension de la colline, entre les murets qui protègent les jardins débordant de glycines en cette saison.

Je lève la tête.

Pan ! Pan ! Pan !

Sur le bleu du ciel, les nuances de vert et de rouge des feuillages explosent. Pas de doute, nous sommes bien au pays des hanabi, ces fameuses fleurs de feu !

Je poursuis mon chemin, qui hésite un moment devant le portail d'une propriété précédée d'une allée de verdure, pour finalement continuer toujours plus haut, à l'ombre des murets et des taillis de bambous.

Nous ne sommes qu'à quelques dizaines de mètres de la route nationale, mais déjà les potagers se multiplient autour des maisonnettes.

Et au sommet de la colline, qu'y a-t-il ? Je vous le donne en mille : un cimetière.

« À nous deux, Nagasaki ! »

Bon, mais vous vous doutez bien que je ne viens pas ici pour jouer les Rastignac nippons, même si le lieu s'y prête bien.

Non, en réalité, j'ai découvert que ces tombes, avec leurs enceintes qui protègent du vent, constituent autant de merveilleux solariums.

Alors, lorsque le temps est au beau et que je me sens trop paresseuse pour partir pour une excursion plus lointaine, c'est là que je vais, munie de ma natte, d'un bouquin, et de menues provisions.

Bon, je reconnais que ce n'est pas très orthodoxe de ma part, et que je n'aimerais pas être surprise en train de siroter mon lait de soja anti-cholestérol par un parent du défunt (ce qui est un risque réel, car, le bouddhisme accordant une grande importance au culte des ancêtres, les tombes sont très bien entretenues). Mais, d'un autre côté, mi-août, période de l'Obon, les Japonais célèbrent leurs morts en allant pique-niquer (et boire plus que de raison) dans les cimetières. Donc peut-être ne verraient-ils pas d'un si mauvais œil que je tienne sobrement compagnie à leurs morts ?

En tout cas, j'aurais du mal à me passer de ce petit jardin secret. Mon livre me sert de parasol le temps de la lecture, mais parfois je m'endors, bercée par le gazouillis des oiseaux, avant d'être tirée en sursaut du sommeil par l'écho des coups de raquette d'une ménagère qui bat ses futons à sa fenêtre.

Sur le chemin du retour, j'admire à nouveau la variété des fleurs que l'on peut apercevoir dans les jardins des uns et des autres.

Même la plus humble des maisons a son parterre d'iris violets.

C'est à croire qu'ici, être humain, c'est avant tout savoir cultiver son jardin. À quoi bon être un bipède parlant si on ne sait même pas nommer les fleurs et prendre soin d'elles ?

Cela me rappelle que quand j'étais petite, suite à la lecture d'un bouquin qui m'avait bouleversée, j'avais commencé à m'occuper des fleurs que ma mère faisait pousser sur notre balcon à Tokyo, leur adjoignant quelques bacs de pommes de terre et pots d'avocats. Ma foi, mes cultures prospéraient, donc il n'y a pas de raison que je n'aie plus la main verte aujourd'hui !

Alors, avant de rentrer chez moi, je m'arrête chez le marchand de fruits et légumes, qui vend également des fleurs. Je lui montre du doigt 3 pots d'une variété dont je ne connais pas le nom en français, et encore moins en japonais :

Je ne sais pas combien de temps les mignonnettes parviendront à survivre dans un milieu aussi hostile que mon appartement, mais je dois reconnaître que mon balcon me paraît infiniment moins gris depuis qu'elles sont là !



Comments:
Chère Lectrice,

Merci pour cette évocation du "Japon que j'aime", avec ses horreurs et ses merveilles. C'est un fait que l'architecture urbaine, au Japon, passe l'imagination...
Mais "l'écho des coups de raquette d'une ménagère qui bat ses futons à sa fenêtre"...
Reste le plus longtemps possible dans ce pays à nul autre pareil, pour continuer d'alimenter cette chronique des "choses vues", et senties.
Lankou.
 
C'est sans doute chose négociable avec Monsieur mon pacsé… Mais si le monde est fait pour être vu, il me semble que les émotions ne sont jamais aussi fortes que lorsqu'elles sont partagées, et je ne suis pas sûre de pouvoir me satisfaire très longtemps de partager les miennes a posteriori et en décalage. J'envie la parfaite autosuffisance des vrais solitaires !

Pour mes fleurs, j'ai appris aujourd'hui qu'en japonais comme en français, elles se disent "pétunias". Honte à mon ignorance…
 
Des pétunias! Mais bien sûr! mes deux grand-mères en faisaient pousser, et Mamie aussi.
 
Comme quoi, le déterminisme floral, ça existe… :-)
 
danger de trainer dans les cimetieres au japon : pas tellement de se faire engueuler, mais de choper le "warui ki" de morts, d'apres une fervente boudhiste que je connais.
 
Dans ce cas, je dois être saturée de « mauvais ki », car j'ai encore dormi mercredi à l'ombre des sépultures, la joue collée à la pierre tombale (de fait, j'ai une sale angine, mais elle avait déjà démarré à ce moment-là, donc ce serait injuste de l'imputer aux morts !)
 
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