01 avril 2006

 

Chemin buissonnier

À la Sorbonne, j'avais un professeur qui, évoquant les longues promenades du philosophe de Kœnigsberg, nous expliquait que la révolution kantienne consistait moins dans les apports de la Critique de la raison pure que dans la découverte qu'on pensait avec ses pieds.

Je ne sais pas si les gens d'ici sont parvenus à la même conclusion en étudiant Kant, mais toujours est-il que c'est aujourd'hui le coup d'envoi de l'opération Nagasaki Saruku Haku 2006, qui propose jusqu'à la fin du mois d'octobre des itinéraires de promenade-découverte présentant les richesses historiques et gastronomiques de la région. Mais vous n'en saurez pas plus, car, comme il pleut comme vache qui pisse, j'ai renoncé à aller à la cérémonie d'ouverture.


Je vais donc vous parler d'une autre promenade, celle que je fais pour me rendre à l’École qui n'est pas desservie par les transports publics en dehors des périodes de cours.

Avant tout, sachez que Nagasaki est une ville de collines ; la formule qui résume ce qu'on rencontre le plus dans cette ville est d'ailleurs «Saka Haka Baka», ce qui signifie «Pentes Tombes Abrutis» et montre que les gens du coin ont un sens certain de l'autodérision. (Je me permets de lancer ici un appel à contribution, sachant que je suis lue par des lettrés : pourriez-vous me proposer une meilleure traduction de cette devise, qui prenne en compte la rime assonante ?)

Avant mon arrivée, je pensais me déplacer à vélo comme à Tokyo, mais la découverte de la topographie locale m'a vite dissuadée de faire cette dépense. Je confirme donc que les pentes sont nombreuses, et qu'au sommet de ces collines, on trouve soit des cimetières, soit des écoles pleines d'abrutis.

Celle où j'enseigne ne fait pas exception à la règle, superbement juchée sur sa colline au nord de la ville. Pour y accéder, il y a deux possibilités :
  1. soit on attaque l'ascension de front à partir de la bruyante Nationale 206,
  2. soit on bifurque d'abord vers un petit quartier résidentiel pour monter en pente douce en suivant un chemin qui conduit jusqu'à l'arrière du campus.

Comme j'adore flâner (surtout quand il s'agit d'aller bosser), cette dernière solution a ma préférence, malgré le détour qu'elle implique.

Mais voyez plutôt par vous-mêmes : le chemin buissonnier débute par une route bordée de cerisiers qui font comme une haie d'honneur quand on y passe au printemps.

Ensuite, on gravit la pente qui file droit entre des rangées de petites maisons aux jardinets amoureusement entretenus.

Des haltes sont aménagées le long de la montée, comme en témoigne la présence de ces bancs à la disposition des promeneurs. La première fois que j'ai vu un de ces bancs, je n'ai pas pu m'empêcher de penser : «Tiens, un dahu japonais !» Cela m'a plongée dans une hilarité qui ne m'a pas quittée jusqu'à ma destination. Mais en me rendant compte qu'il n'y avait personne sur place avec qui partager cette bonne blague, j'ai fait la douloureuse expérience de la solitude de l'expat' en terre allophone. (À la réflexion, je ne vois pas qui en métropole aurait ri à cette plaisanterie, à part mon fiancé qui est toujours d'une coupable indulgence à mon égard).
À ce point de la promenade, on peut déjà se retourner pour se féliciter du chemin parcouru, et admirer les collines de l'autre côté.
Encore quelques mètres, et on arrive au pied de l'escalier qui mène à l'arrière du gymnase. L'an dernier, le petit lopin de terre était couvert d'herbes folles et de fleurs sauvages, mais tout cela a été arraché depuis, en vue de je ne sais quels projets d'optimisation de l'espace.

Et voilà enfin la vue de mon bureau.
Plutôt sympa, non ?
Mais ne soyez pas jaloux : en temps normal, j'ai tellement de boulot que je n'ai pas une minute pour rêvasser à la fenêtre!


Comments:
Oui, si mes souvenirs sont bons sur le mythique dahu de nos montagnes, je crois effectivement qu'il naît avec 2 pattes plus courtes que d'autres, mais sur un côté du corps seulement et non sur le devant. Cette caractéristique l'oblige a aller toujours dans le memes sens a flanc de montagne, et donne lieu à de tragiques accidents à la saison des amours...
 
C'est en cela que c'est un dahu japonais : à la différence de son congénère français, il peut se déplacer de bas en haut et inversement, mais pas latéralement !
 
C'est bien, au moins il y a des bancs pour s'asseoir. A Yokohama et partout en général c'est la misère de bancs publics... C'est franchement lourd des fois d'attendre debout.
 
Ce qui me plaît particulièrement dans ce banc-là, c'est sa gratuité : ce n'est ni un arrêt de bus, ni une station de taxi, encore moins un arrêt de tramway. On ne s'y assied pas pour attendre que quelque chose arrive. C'est un banc pour purs contemplatifs...
 
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